La Tunisie peine toujours à se faire restituer les avoirs spoliés par le clan Ben Ali. Elle risque d’ailleurs de perdre tout accès à cet argent dont la réelle valeur n’est pas déterminée. Cela s’explique notamment par le manque de coopération avec certains Etats, mais aussi par les procédures jugées très lourdes et notamment l’absence de politique tunisienne performante en matière de repérage et de restitution des fonds spoliés.
Dix ans après la révolution, la Tunisie peine toujours à faire des avancées dans le dossier des avoirs du clan Ben Ali. Aujourd’hui, il est grand temps de se pencher sur ces avoirs et biens spoliés et détournés vers l’étranger, notamment en cette période de crise économique, régler ce dossier pourrait se transformer en bouée de sauvetage pour l’économie tunisienne.
Dernièrement, le dossier de ces avoirs spoliés a été rouvert à nouveau avec une annonce du Conseil fédéral suisse lors de sa session hebdomadaire. En effet, la Suisse a rappelé que le blocage des avoirs de l’ancien président tunisien, Ben Ali et de ses proches expire en janvier 2021, donc d’ici quelques jours, après avoir atteint la durée légale maximale de dix ans. Ceci ouvrira la voie au clan Ben Ali d’entamer les procédures légales et administratives pour ré-accéder à leurs avoirs, ainsi la Tunisie pourrait perdre ses droits à reprendre ces fonds.
Pourtant, il y a quelques semaines, la présidente de la Confédération suisse, Sinonetta Sommaruga, avait appelé la Tunisie à se mobiliser davantage avant l’expiration des délais légaux pour éviter une perte d’accès à ces fonds dont la réelle valeur n’a jamais été précisément dévoilée.
Cependant, la Tunisie se réserve tous les droits de réclamer une prolongation de ces délais de blocage des fonds en question si elle manifeste un certain intérêt politique, c’est en tout cas ce que demandent la partie suisse. En effet, la loi fédérale suisse sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger autorise la durée des blocages, ainsi que les conditions de leur prolongation annuelle. Ceci est seulement possible si la Tunisie parvient à convaincre les pouvoirs judiciaires suisses de la nécessité de prolonger le blocage de ces avoirs en attendant une action efficace pour les reprendre. Mais toujours selon le Conseil fédéral suisse, l’expiration de l’ordonnance de blocage n’affecte toutefois pas les autres procédures de blocage d’avoirs prononcées par les autorités judiciaires, dans le cadre des procédures pénales et d’entraide judiciaire en cours.
Au fait, en 2011, au lendemain de la révolution tunisienne, le blocage d’avoirs illicites de Ben Ali et de ses proches avait été ordonné par la justice suisse. Il concerne un montant de l’ordre de 55 millions d’euros suisses.
Qu’est-ce qui bloque ?
Dix ans après la révolution, la Tunisie se trouve toujours dans l’incapacité de se faire restituer les fonds spoliés et détournés vers l’étranger par le clan Ben Ali. Elle n’a même pas pu déterminer la valeur exacte de ces biens et avoirs spoliés tout au long des années de pouvoir de Ben Ali. Or, pour que les avoirs bloqués puissent être restitués en entraide, il faut que des jugements définitifs et exécutoires soient rendus en Tunisie, que ces jugements ordonnent la confiscation d’avoirs situés en Suisse et qu’ils fassent état d’un lien entre ces avoirs et une infraction pénale. Mais jusqu’à présent, la Tunisie se trouve dans l’incapacité de parvenir à ce genre de jugements. D’ailleurs, c’est tout le système de la justice transitionnelle qui est en berne. Il y a quelques jours, l’Association des magistrats tunisiens (AMT) évoquait les difficultés rencontrées par les chambres spécialisées dans la justice transitionnelle, affirmant que depuis la révolution, aucune affaire de justice transitionnelle n’a été résolue.
Si, depuis les événements de janvier 2011, la Tunisie s’est lancée dans une expérience de restitution de l’argent spolié notamment par le régime Ben Ali, ce dossier marque, en effet, un fiasco constaté à longueur d’année notamment dans les procédés de faire revenir l’argent détourné. Ceci s’explique notamment par le manque de coopération avec certains Etats, mais aussi par les procédures jugées très lourdes et notamment l’absence de politique tunisienne performante en matière de repérage et de restitution des fonds spoliés.
Commission présidentielle, quel rôle ?
Face à ces entraves judiciaires et autres qui font face au processus de restitution des avoirs spoliés et détournés à l’étranger, le Président de la République, Kaïs Saïed, avait annoncé la mise en place d’une Commission auprès de la présidence de la République, chargée du suivi des dossiers de l’argent spolié et des dépassements relatifs aux biens de la communauté nationale, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
La première réunion de ladite Commission chargée avait été tenue en novembre dernier en présence du Président de la République, Kaïs Saïed, du Chef du gouvernement Hichem Mechichi et de plusieurs ministres. Les nouvelles procédures de travail judiciaire et diplomatique afin de récupérer ces fonds ont été au centre de cette réunion, outre les difficultés procédurales et juridiques qui ont empêché d’atteindre les résultats souhaités depuis 2011. Mais quel sera réellement le rôle de cette commission? Pour la présidence de la République, il s’agit d’une structure qui vise à éviter l’éparpillement de la prise de décision au niveau de la gestion du dossier des avoirs détournés à l’étranger, ceci passera par des réunions régulières impliquant tous les intervenants notamment diplomatiques pour accélérer certaines procédures légales.
La Suisse, principal pays vers où l’argent et les avoirs du clan Ben Ali ont été détournés, avait restitué seulement trois millions d’euros en deux fois, en mai 2016 et mai 2017 et conserve encore l’équivalent de 55 millions d’euros bloqués sur les comptes bancaires de dix personnes. D’autres pays comme le Canada, la France et quelques paradis fiscaux sont également impliqués dans des procédures d’entraide avec la Tunisie, mais on peine toujours à trouver un terrain d’entente pour restituer ces fonds.